LA POSSIBILITÉ D’UN “VIVRE ENSEMBLE”
Ce faisant nous avons adapté nos statuts à une réalité de plus en plus prégnante chaque jour, emboitant ce faisant, le pas du législateur. C’est en effet le 31 mars 2016 que le monde du droit s'est ouvert à de nouvelles possibilités, avec la ratification de l'ordonnance relative à l'autorisation de créer des sociétés pluriprofessionnelles d'exercice (SPE). Un décret « transversal » en date du 5 mai 2017 est venu fixer les modalités de constitution, d'exercice et de contrôle des SPE.
Ces textes ont eu le mérite de reconnaître implicitement la possibilité d'un « vivre ensemble » à certaines professions, qui trop souvent n'ont eu de cesse de veiller à leur pré carré en se querellant plutôt que d'entreprendre une démarche constructive.
La complexité croissante de nos sociétés et les arbitrages que doivent rendre nos métiers au quotidien ont rendu cette évolution incontournable. Un professionnel exerçant dans les années 70 maîtrisait l’essentiel de ce qu'il fallait connaître pour exercer son métier de façon satisfaisante. Aujourd'hui, force est de constater que l'étendue des connaissances à embrasser est telle que le cerveau humain n'y suffit plus. Sans doute sommes-nous dans une situation provisoire, l'intelligence artificielle ayant vocation à l'avenir à suppléer par le biais de systèmes experts aux capacités forcément limitées de l'être humain.
Dans ce contexte, quels sont les avantages à tirer des sociétés pluriprofessionnelles d’exercice et quels sont les principaux obstacles à lever pour leur mise en œuvre ?
Il convient au préalable de souligner que l'étroitesse des liens créés sera plus évidente entre experts-comptables et avocats d’entreprises en particulier, qu’avec des professions plus périphériques tels que les géomètres experts ou les huissiers. En revanche, notaires et géomètres experts auront plus d’intérêts communs, de même que les avocats plaidants et les huissiers.
Au-delà du partage de moyens commun à toute forme sociétaire dans l'univers des professions libérales, force est de constater qu’une SPE entre experts-comptables et avocats intégrant parallèlement une société de conseil en gestion de patrimoine, présente un avantage concurrentiel évident à travers une offre de service complète et spécialisée. La complémentarité de ces métiers vient répondre à une demande réelle et affirmée du marché avec une efficacité accrue.
Au-delà de ces aspects, la culture de chacune des professions est une source de richesse collective : la rigueur du juriste et l’approche économique que pourra donner l’expert-comptable dans la vie du groupe contribueront à forger des états d’esprit différents. La possibilité d’organiser des formations ciblées, en interne dans la SPE, viendra élargir le spectre d’intervention de l’ensemble des collaborateurs. L’amélioration de la qualité des prestations rendues et les synergies ainsi créées constituent de véritables vecteurs de développement.
Pour autant, si l'intérêt des sociétés interprofessionnelles est aisé à percevoir, des obstacles voire des inconvénients existent mais de manière moins évidente : il convient tout d'abord - est-il nécessaire de le rappeler ? – de veiller à ce que les relations entre les différents acteurs soient équilibrées en écartant les inévitables mesquineries et besoins de domination. Le respect mutuel doit impérativement constituer la base des relations.
Certaines professions voire certains professionnels ont des soucis d’indépendance et préfèrent garder une forme plus souple de collaboration avec les différents métiers avec lesquels ils entretiennent des relations régulières.
Le partage des résultats propre au contrat de société peut constituer un obstacle lorsque doivent cohabiter des partenaires dont les honoraires sont fixés contractuellement et des partenaires dont les honoraires sont tarifés. Un pacte d’associés et un règlement intérieur doivent alors être mis en place pour définir les règles du jeu. La volonté d’abandonner certaines prérogatives à la communauté doit y être clairement exprimée.
Il faudra ensuite concilier les aspects déontologiques propres à chacune des professions concernées, lesquels devront être respectés ; ce n'est pas toujours chose facile. Les règles liées à l’organisation des bureaux et au secret professionnel ne sont pas nécessairement convergentes. Les lettres de mission communes devront être étudiées de près, de façon à ne pas laisser la place à des interprétations différentes. La mise en place d’outils de communication et de gestion interne avec partage d’informations relatives aux clients, doit obéir à des règles strictes.
Enfin, l’affichage aux yeux des tiers d’une association interprofessionnelle avec tel ou tel partenaire compliquera inévitablement les relations avec les concurrents de celui-ci et bridera le développement de la société. Cet aspect ne peut être négligé, même si une certaine hauteur de vue permet de s’en abstraire.
Ces obstacles n’existent évidemment pas lorsqu’il s’agit de partager des sources documentaires ou de participer en commun à des formations. Le choix d’ouverture que nous avons délibérément mis en place à l’UNECA en accueillant d’autres professions, résulte de la nécessité d’élargir le spectre de nos adhérents dans l’intérêt bien pensé de l’ensemble des métiers. Gageons qu’il constitue un premier pas vers des actions communes, exprimant ainsi à l’ensemble de la société la volonté d’évolution de nos professions libérales dans un monde qui bouge.
Bernard Bizouard, président de l'UNECA