L’origine du lait va disparaitre des étiquettes
A titre expérimental, par un décret du 19 août 2016, le Gouvernement avait rendu obligatoire, l’indication de l’origine du lait ainsi que du lait et viandes utilisés en tant qu’ingrédient dans des denrées alimentaires préemballées, pour la période allant du 1er janvier 2017 au 31 décembre 2018. La mention « UE » ou « non UE » devait ainsi être apposée sur l’emballage, sous peine de sanctions. Cette période a, dans un premier temps, été prorogée jusqu’au 31 mars 2020 par un décret du 24 décembre 2018, puis jusqu’au 31 décembre 2021 par un second décret en date du 27 mars 2020. Or, l’expérimentation vient de s’achever brutalement sous l’action du Groupe Lactalis.
Dès 2018, la multinationale française a présenté une première requête visant à l’annulation pour excès de pouvoir du décret du 19 août 2016 en ce qui concerne le lait ainsi que le lait utilisé comme ingrédient, puis a demandé l’annulation pour excès de pouvoir des décrets des 24 décembre 2018 et 27 mars 2020, en tant qu’ils prorogent la période d’expérimentation pour ces seuls produits. Lactalis soutenait en particulier que cette obligation d’étiquetage était contraire au règlement du 25 octobre 2011 du Parlement européen et du Conseil de l’Union européenne concernant l’information des consommateurs sur les denrées alimentaires.
Interrogée par le Conseil d'Etat, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a jugé le 1er octobre 2020 qu’en application de ce règlement, les Etats membres peuvent imposer un tel étiquetage au nom de la protection des consommateurs à deux conditions. Il faut, d’une part, que « la majorité des consommateurs attache une importance significative à cette information », et d’autre part qu’il existe un « lien avéré entre certaines propriétés d’une denrée alimentaire et son origine ou sa provenance ». Ces deux conditions, qui sont distinctes, doivent être remplies l’une et l’autre. Ainsi, elles « ne doivent pas être appréhendées de façon combinée, de telle sorte que l’existence de ce lien avéré ne peut pas être appréciée en se fondant seulement sur des éléments subjectifs, tenant à l’importance de l’association que les consommateurs peuvent majoritairement faire entre certaines propriétés de la denrée alimentaire concernée et son origine ou sa provenance ».
Manifestement ce n’était pas le cas. Il ressort des pièces du dossier que le ministre de l’agriculture et de l’alimentation, dans les mémoires qui ont été produits tant avant qu’après l’arrêt du 1er octobre 2020 de la Cour de justice de l’Union européenne, a exclusivement justifié les dispositions contestées des décrets attaqués par l’importance que la majorité des consommateurs attachent, d’après des sondages, à l’existence d’une information sur l’origine ou la provenance du lait. Lors de l’audience d’instruction qui s’est tenue le 19 janvier 2018, l’administration avait, indiqué « qu’en dehors de cette approche subjective, il n’y a pas, objectivement, de propriété du lait qui puisse être reliée à son origine géographique, y compris selon que le lait est produit ou non dans un Etat membre de l’Union européenne ». Autrement dit, rien ne ressemble plus à une bouteille de lait qu’une autre bouteille de lait.
Tirant les conséquences de l’arrêt de la CJUE, le Conseil d’Etat a donc jugé que l’obligation sous peine de sanctions de l’étiquetage de l’origine du lait est illégale et en a prononcé en conséquence l’annulation. Les décrets des 19 août 2016, 24 décembre 2018 et du 27 mars 2020 sont annulés en tant qu’ils portent sur le lait et le lait utilisé en tant qu’ingrédient.
Encore un coup dur pour les éleveurs laitiers français…