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Revue | Juin 2021

Apport d’un usufruit viager à une société

TA Nice, 30 décembre 2020, n° 1803411
En bref : L’apport d’un usufruit viager à une société constitue une cession à titre onéreux, relevant de l’article 13, 5 du CGI le cas échéant.

Dans la présente affaire, deux opérations ont été réalisées successivement. En premier lieu, un père a consenti une donation au profit de sa fille portant sur l’usufruit de parts d’une SNC. En second lieu, la donataire a fait apport de l’usufruit des parts reçues au profit d’une société constituée pour l’occasion, étant précisé que l’acte d’apport retenait que l’usufruit était consenti pour une durée fixe de 30 ans.

L’administration a alors considéré que l’apport au profit de la société constituait une première opération de cession d’usufruit temporaire à titre onéreux au sens de l’article 13, 5 du Code général des impôts. Rappelons que cet article dispose que le produit résultant de la première cession à titre onéreux d’un usufruit temporaire ou, si elle est supérieure, la valeur vénale de cet usufruit, est imposable au nom du cédant, dans la catégorie de revenus à laquelle se rattache le bénéfice ou le revenu procuré ou susceptible d’être procuré.

En application de ces dispositions, l’opération d’apport à la société constituait-il une « première cession à titre onéreux d’usufruit temporaire » ?

Selon le contribuable, l’acte de constitution de la société bénéficiaire de l’apport de l’usufruit précisait que la durée de l’usufruit était de 30 ans en application de l’article 619 du Code civil. Il s’agissait selon lui d’une application littérale de cet article, selon lequel l’usufruit qui ne bénéficie pas à des personnes physiques dure 30 ans, mais cela ne modifiait pas la nature de l’usufruit qui restait un usufruit viager. Le contribuable étayait cet argument par le fait que la donation comprenait une clause de retour, à savoir une clause selon laquelle, en cas de décès de la donataire pendant la période de 30 ans, l’usufruit revenait au donateur.

Notons qu’il existe un droit de retour légal sur les biens donnés par les parents à leurs enfants, lorsque ces derniers décèdent sans postérité. Le droit de retour conventionnel prévu dans une donation peut donc faire doublon avec le droit de retour légal, néanmoins, il permet d’aménager les modalités du droit de retour. En l’espèce, l’arrêt ne précise pas si la clause de retour figurant dans l’acte de donation prévoyait des dispositions spéciales.

Mais ces arguments n’ont pas été retenus par l’administration fiscale. Celle-ci a considéré que l’apport de l’usufruit au profit de la société était réalisé pour une durée fixe, en l’occurrence 30 ans. Cet apport constituait donc une cession d’un usufruit temporaire réalisée à titre onéreux, relevant de l’article 13, 5 du CGI.

En conséquence, le produit résultat de l’apport s’est vu imposer dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux.

 

TA Nice, 30 décembre 2020, n° 1803411

« Considérant ce qui suit :

A la suite d'un contrôle sur pièces, Mme D. a été assujettie à des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et aux pénalités y afférentes au titre de l'année 2013 après que
l'administration fiscale ait requalifié l'apport en usufruit de 36 parts sociales de la SNC D. et compagnie à la société A. en cession d'usufruit temporaire imposable dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux. Mme D. a présenté une réclamation, le 26 février 2018, qui a fait l'objet d'une décision de rejet le 25 juin 2018. Mme D. demande la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu, de la contribution sur les hauts revenus et des pénalités correspondantes auxquelles elle a été assujettie au titre de l'année 2013 soit un montant total de 710 106 euros.

Sur le bien-fondé des impositions :

En ce qui concerne la loi fiscale :

1. Aux termes de l'article 13 du code général des impôts en vigueur au jour de la cession : "1. Le bénéfice ou revenu imposable est constitué par l'excédent du produit brut, y compris la valeur des profits et avantages en nature, sur les dépenses effectuées en vue de l'acquisition et de la conservation du revenu. 2. Le revenu global net annuel servant de base à l'impôt sur le revenu est déterminé en totalisant les bénéfices ou revenus nets mentionnés aux I à VI de la 1re sous -section de la présente section ainsi que les revenus, gains nets, profits, plus-values (…) 3. Le bénéfice ou revenu net de chacune des catégories de revenus visées au 2 est déterminé distinctement suivant les règles propres à chacune d'elles. (…) 5.1. Pour l'application du 3 et par dérogation aux dispositions du présent code relatives à l'imposition des plus-values, le produit résultant de la première cession à titre onéreux d'un même usufruit temporaire ou, si elle est supérieure, la valeur vénale de cet usufruit temporaire est imposable au nom du cédant, personne physique ou société ou groupement qui relève des articles 8 à 8 ter, dans la catégorie de revenus à laquelle se rattache, au jour de la cession, le bénéfice ou revenu procuré ou susceptible d'être procuré par le bien ou le droit sur lequel porte l'usufruit temporaire cédé. Lorsque l'usufruit temporaire cédé porte sur des biens ou droits procurant ou susceptibles de procurer des revenus relevant de différentes catégories, le produit résultant de la cession de cet usufruit temporaire, ou le cas échéant sa valeur vénale, est imposable dans chacune de ces catégories à proportion du rapport entre, d'une part, la valeur vénale des biens ou droits dont les revenus se rattachent à la même catégorie et, d'autre part, la valeur vénale totale des biens ou droits sur lesquels porte l'usufruit temporaire cédé. 2. Pour l'application du 1 du présent 5 et à défaut de pouvoir déterminer, au jour de la cession, une catégorie de revenus, le produit résultant de la cession de l'usufruit temporaire, ou le cas échéant sa valeur vénale, est imposé : (…) c) Dans la catégorie des bénéfices non commerciaux, dans les autres cas". Aux termes de l'article 619 du code civil : "L'usufruit qui n'est pas accordé à des particuliers ne dure que trente ans".

3. Les dispositions du 1° du 5 de l'article 13 du code général des impôts prévoient que le produit résultant de la première cession à titre onéreux d'un même usufruit temporaire est imposable au nom du cédant dans la catégorie de revenus à laquelle se rattache, au jour de la cession, le bénéfice ou revenu procuré. Leur champ d'application recouvre ainsi toutes les premières cessions à titre onéreux d'un même usufruit pour une durée explicitement déterminée entre les parties à l'acte de cession.

4. Il résulte de l'instruction que M. D. a consenti à sa fille, Mme D., une donation -partage portant sur l'usufruit viager de 36 parts sociales de la société "D. et Cie". Le 10 décembre 2013, Mme D. a apporté à la SAS A., créée pour les besoins de l'apport, l'usufruit des 36 parts sociales pour une durée de 30 ans, pour une valeur de 34 666,66 euros la part en usufruit, soit un montant total de 1 248 000 euros pour 36 parts. En rémunération de cet apport, Mme D. a reçu la pleine propriété de 12 480 actions de 100 euros entièrement libérées.

5. L'administration fiscale a considéré que cet apport à la SAS A. constituait une première opération de cession d'usufruit temporaire à titre onéreux imposable dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux. Mme D. conteste cette analyse en faisant valoir que si l'article 7 de l'acte de constitution de la SAS A. relatif aux apports prévoit une durée de 30 ans, cette durée, qui correspond à la durée maximale prévue par les dispositions de l'article 619 du code civil, n'a pas dénaturé le caractère viager de l'usufruit apporté par la requérante dès lors qu'en cas de décès de celle-ci avant l'expiration de la période de 30 ans, cet usufruit reviendrait au donateur conformément à la clause de retour prévue dans l'acte de donation du 23 juillet 2013. Toutefois, cette circonstance ne remet pas en cause le caractère temporaire de l'usufruit apporté à la SAS A. dès lors que l'acte de cession de cet usufruit porte sur une durée fixe. Par ailleurs, la circonstance que la durée fixée dans l'acte soit la durée maximum posée à l'article 619 du code civil ne remet pas davantage en cause le caractère temporaire de cet usufruit. Dans ces conditions, c'est à bon droit que l'administration a fait application des dispositions du 1° du 5 de l'article 13 du code général des impôts et a imposé le produit résultant de la cession dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux et non sous le régime des plus-values

6. Mme D. soutient que l'imposition dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux générée par l'apport des droits à la SAS A. aboutit à une imposition confiscatoire dès lors que l'usufruit viager consenti par son père a également généré des droits d'enregistrement de 401 693 euros. Toutefois, la donation-partage et l'apport d'usufruit à la SAS A. sont deux opérations distinctes qui ont des incidences fiscales prévues par des régimes législatifs différents. Dès lors ce moyen doit être écarté.

En ce qui concerne la doctrine administrative :

7. A supposer que la requérante ait entendu se prévaloir de la doctrine administrative, les énonciations du BOI-IR-BASE-10-10-30 du 5 août 2015, lesquelles sont au demeurant postérieures à l'année d'imposition en litige, ne comportent aucune interprétation de la loi fiscale différente de celle dont le présent jugement fait application.

8. Il résulte de tout ce qui précède que les conclusions à fins de décharge des impositions litigieuses doivent être rejetées ainsi que, par voie de conséquence, les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

 

Décide :

Article 1er : La requête présentée par Mme D. est rejetée.

Article 2 : Le présent jugement sera notifié à Mme D. et à la direction du contrôle fiscal Sud-est. »