Bail co-preneurs
La première espèce (21 janvier 2021), illustre le risque de la , un couple est co-preneurs d’un bail. Madame devient associée d’une EARL, sans le concours de son mari, qui était dans l’incapacité physique d’exploiter les terres depuis 2004, et elle décide de mettre à disposition ce bail au profit de la société.
Le bailleur saisit le TPBR en demande de résiliation du bail. Il soutient que lorsque l’un des époux co-preneurs n’est pas associé de la société exploitant les terres louées dans le cadre d’une mise à disposition et n’exploite plus effectivement les terres, le bailleur peut solliciter la résiliation du bail, son préjudice étant caractérisé par la privation de la possibilité de poursuivre l’exécution des obligations nées du bail sur les deux co-preneurs. Il affirme également que la mise à disposition des biens loués au profit de l’EARL, dont Monsieur co-preneur n’a jamais été associé exploitant, caractérise une cession prohibée du bail.
La Cour d’appel ne fait pas droit à sa demande, en effet, elle soutient que l’épouse co-preneuse à bail avait toujours été associée exploitante de l’EARL, de sorte que la mise à disposition des biens loués au profit de cette société, ne caractérisait pas une cession prohibée.
La Cour de cassation ne suit pas le raisonnement de la Cour d’appel et elle casse purement et simplement son arrêt au visa des articles L. 411-31, L. 411-35 et L. 411-37 du CRPM.
En effet, la Cour de cassation précise qu’en cas de pluralité de preneurs, ceux-ci doivent tous être associés. A défaut, celui qui n’aurait pas cette qualité, manque à son obligation de se consacrer personnellement à la mise en valeur des biens et procède à une cession prohibée, peu importe que l’autre preneur soit effectivement associé de la société bénéficiaire de la mise à disposition. La Cour rappelle le caractère indivisible du bail rural pour asseoir son argumentaire.
Pour la Cour de cassation, la cessation complète d'activité du co-preneur, Monsieur au cas présent (qui n’avait jamais été associé de l'EARL), privait le bailleur de la possibilité de poursuivre l’exécution des obligations nées du bail qu’il avait contracté.
La sanction est stricte ! Mais cet arrêt confirme le mouvement jurisprudentiel entrepris en 2015 (Cass 3ème civ., 13/01/2015, n°12-27.875) et confirmé en 2016 (Cass. 3ème civ. 22 septembre 2016, n°15-20.826, voir revue Uneca juin 2017) par lequel la Cour de cassation retient la résiliation du bail lorsque celui-ci est mis à disposition d’une société sans que l’un des co-preneurs ne soit associé. Cette situation crée, pour la Haute juridiction, un préjudice incontestable pour le bailleur.
Aussi, si l’un des co-preneurs ne peut devenir associé de la société bénéficiaire de la mise à disposition, le second co-preneur aura tout intérêt à user de l’opportunité offerte par l’alinéa 3 de l’article L. 411-35 du CRPM lui permettant de continuer en son seul nom le bail, sous réserve de non-opposition du bailleur. A défaut et en raison du caractère indivisible du bail, le co-preneur « actif » encourt la résiliation du bail.
La loi d’avenir pour l’agriculture du 13 octobre 2014 n° 2014-1170 a inséré un alinéa 3 à l’article L. 411-35 du CRPM, par lequel elle précise qu’en cas de bail co-preneurs, celui qui continue à exploiter les biens dispose de 3 mois, à compter de la cessation de l’autre co-preneur, pour demander au bailleur de poursuivre à son seul nom le bail.
Cette règle s’applique à l’ensemble des baux en cours lors de l’entrée en vigueur de cette loi. Aussi, le preneur continuant à exploiter le bien, quand bien même, l’autre co-preneur aurait cessé d’exploiter avant l’entrée en vigueur de la loi, doit informer le propriétaire qu’il entend continuer seul l’exploitation du bien. La non réalisation de cette information a des conséquences lourdes pour le co-preneur restant en place.
Dans la seconde espèce (6 mai 2021), il s’agit également d’un couple co-preneur. Le 29 décembre 2010, Monsieur informe qu’il prend sa retraite agricole. Mais Madame, après l’entrée en vigueur de la loi d’avenir, n’informe pas le propriétaire qu’elle entend continuer l’exploitation du bail à son seul profit.
En 2017, Madame demande la cession de son bail au profit de son fils par courrier adressé au bailleur, dans lequel il est indiqué que Monsieur et Madame sont co-preneurs du bail. Le propriétaire ne répond pas, alors Madame décide de saisir la juridiction paritaire en demande de cession.
La Cour d’appel comme la Cour de cassation rejettent sa demande. En effet, la demande de cession du bail aurait dû être faite par Madame et Monsieur, le bail rural étant indivisible. Ce qui implique que l’un des co-preneurs ne peut demander la cession du bail sans l’accord de l’autre.
Bien que Monsieur ait cessé d’exploiter les terres depuis de nombreuses années et que le bailleur était au courant, pour la Cour suprême, Madame aurait dû demander en parallèle la poursuite du bail à son seul nom.
Dans ces deux affaites, la Cour met en avant l’indivisibilité du bail co-preneurs pour fonder ces deux solutions : résiliation du bail et refus de cession au profit du descendant.
Aussi, le non-respect du formalisme de l’alinéa 3 de l’article L. 411-35 du CRPM a des conséquences graves sur les baux co-preneurs que le bailleur manquera pas d’actionner au besoin.
Ainsi, le preneur restant à tout intérêt à informer le bailleur lorsque son co-preneur cesse d’exploiter ou de signer un nouveau bail s’il ne s’est pas mis en conformité lors de l’entrée en vigueur de la loi d’avenir.
Lien du second arrêt : https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000043489995?init=true&page=1&query=6+mai+2021%2C+n%C2%B020-14.381&searchField=ALL&tab_selection=all