Caractérisation de l’abus de majorité en cas de mise en réserves systématique d’une partie des bénéfices
Dans l’arrêt en présence, une SCI a conclu un bail à construction au profit d’une société en vue de la création d’un parc aquatique. La société preneuse était également l’associée majoritaire de la SCI.
20 % des bénéfices réalisés par la SCI au titre des exercices 2014, 2015, 2016 ,2017, 2018 et 2019 ont été mis en report à nouveau et en réserves.
Les associés minoritaires de la société ont agi devant les tribunaux en demandant la nullité des décisions prises pour abus de majorité et la distribution des bénéfices aux associés au prorata de leurs droits dans le capital.
Rappelons que l’abus de majorité est caractérisé lorsque la décision litigieuse a été prise :
- contrairement à l'intérêt social,
ET
- dans l'unique dessein de favoriser les membres de la majorité au détriment de la minorité.
Ces deux conditions doivent impérativement être réunies pour qu’il y ait abus de majorité.
Pour se défendre, la SCI arguait que le bailleur est obligé, par la nature du contrat, et sans qu'il soit besoin d'une stipulation particulière, de délivrer au preneur la chose louée et de l'entretenir en état de servir à l'usage pour lequel elle a été louée.
En l’espèce, il était nécessaire d'effectuer d'importants travaux de voirie pour améliorer les accès au site, de réaliser le remblaiement ou la surélévation du site pour compenser les volumes soustraits à la crue et de créer un bassin de 95 m² pour sécuriser le terrain contre les risques d'inondation pour le Parc aquatique. Tous ces travaux justifiaient donc la mise en réserve de 20 % des bénéfices.
La Cour d’appel a donné droit aux associés minoritaires. En effet, elle a relevé qu’il résultait du bail que le preneur devait conserver en fin de bail la propriété de toutes les constructions et de tous les aménagements réalisés sur le terrain ainsi que toutes les améliorations.
De plus, le preneur s'était engagé à prendre en charge les éléments d'infrastructure et l'équipement et à en assurer la conservation en bon état d'entretien.
Par conséquent, la prise en charge des travaux conduisait à avantager le seul associé majoritaire de la SCI, à savoir la société d’exploitation du Parc aquatique, au détriment des associés minoritaires.
De plus, l’épargne, dès lors qu'elle dépasse les règles d'une saine gestion, est contraire à l'intérêt de la société.
Enfin, elle a relevé qu'il n'existait aucun projet, qu'il n'y avait pas de dettes ni actuelles ni prévisibles, que le retrait des associés minoritaires était toujours refusé malgré leurs demandes réitérées, et qu'il n’était pas de l'intérêt de la SCI de conserver des réserves à hauteur de 8 fois le bénéfice annuel et à hauteur de 24 fois le capital social.
Pour toutes ces raisons, la Cour d’appel a caractérisé l’abus de majorité.
La Cour de cassation a suivi l’argumentation des juges d’appel et a rejeté le pourvoi formé.
Cette jurisprudence s’ajoute aux nombreuses autres portant sur les abus de majorité dans le cadre de mise en réserves systématique des bénéfices. Elle n’en reste pas moins originale par ses faits. Elle démontre encore une fois que les juges doivent s’attacher à un examen très minutieux de la société dans laquelle les décisions litigieuses ont été prises, afin de caractériser les deux conditions de l’abus de majorité.