Troubles anormaux de voisinage : le calendrier législatif s’est accéléré
Mieux reconnaître le métier d’agriculteur c’est aussi lutter contre les recours en justice abusifs de voisins, « qui voient l’agriculture comme une nuisance (…). Je le dis : quand on choisit la campagne, on l’accepte et on l’assume », insistait le Premier ministre, Gabriel Attal, lors de sa conférence de presse du 1er février 2024. Aussi, ce dernier a annoncé une adoption « rapide » de la proposition de loi soutenue par la députée du Morbihan, Nicole LE PEIH.
Dans le droit actuel, la responsabilité pour trouble anormal de voisinage ne résulte pas de la loi, mais d’une création des juges. Cette création prétorienne repose sur un principe selon lequel « nul ne doit causer à autrui un trouble anormal de voisinage ». C’est l’anormalité du trouble qui entraîne la responsabilité de l’auteur, peu importe qu’il n’ait pas voulu nuire à son voisin. La nature du trouble de voisinage peut être très variée : le bruit, les odeurs, les fumées et poussières, la perte d’ensoleillement, la perte d’une vue sur un paysage… Le juge dispose d’un pouvoir souverain pour apprécier le caractère anormal du trouble. Néanmoins, l’article L.113-8 du Code de la construction et de l’habitat énonce que « les dommages causés aux occupants d'un bâtiment par des nuisances dues à des activités agricoles, industrielles, artisanales, commerciales, touristiques, culturelles ou aéronautiques, n'entraînent pas droit à réparation lorsque le permis de construire afférent au bâtiment exposé à ces nuisances a été demandé ou l'acte authentique constatant l'aliénation ou la prise de bail établi postérieurement à l'existence des activités les occasionnant dès lors que ces activités s'exercent en conformité avec les dispositions législatives ou réglementaires en vigueur et qu'elles se sont poursuivies dans les mêmes conditions ». La théorie de préoccupation repose donc sur : l’antériorité de l'activité, la conformité à la réglementation en vigueur et la poursuite de l’activité dans les mêmes conditions.
La proposition de loi introduit dans le Code civil le principe de responsabilité fondée sur les troubles anormaux de voisinage afin de « garantir une application homogène sur l’ensemble du territoire », et pose une exception tirée de la théorie de préoccupation.
En décembre dernier, l’Assemblée nationale a voté, en première lecture, cette proposition de loi. Le nouvel article 1253 du Code civil prévoit que l’auteur « à l’origine d’un trouble excédant les inconvénients normaux de voisinage est responsable de plein droit du dommage qui en résulte ». Cette responsabilité n’est pas engagée lorsque « le trouble anormal provient d’activités, quelle qu’en soit la nature, préexistant à l’installation de la personne lésée, qui sont conformes aux lois et aux règlements et qui se sont poursuivies dans les mêmes conditions ». Cette formulation reprend les critères de l’article L.113-8 du Code de la construction et de l’habitat qui par voie de conséquence est abrogé, tout en élargissant son champ d’application. Ainsi, il n’est plus fait mention des dommages causés aux occupants d’un bâtiment par des nuisances dues à certaines activités mais de l’ensemble des troubles anormaux de voisinage, quelle que soit la personne lésée, laissant la porte ouverte, notamment, à la prise en compte de dommages causés à un terrain.
Par ailleurs, les députés ont adopté un amendement précisant que cette responsabilité doit également être écartée lorsque l’activité se poursuit « dans des conditions nouvelles qui ne sont pas à l’origine de l’aggravation du trouble anormal ». Il s’appuie sur une jurisprudence qui établit la nécessité d'une causalité entre l'aggravation du trouble et le changement de condition d'exploitation.
La proposition de loi sera examinée au Sénat le 12 mars prochain et le Gouvernement envisage une adoption définitive mi-avril. Le texte initial pourrait être à nouveau enrichi. C’est en tout cas ce que laisse présager les annonces de l’exécutif.
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